ce matin, ma grand-mère était enterrée et je n'y étais pas.
Depuis notre départ je suis fébrilement la santé de mon grand-père paternel. Les nouvelles que je reçois me rappelle que sa santé se détériore inexorablement. "Maintenant, pépé a un fauteuil roulant". "Aujourd'hui, il ne sort plus de son lit". Et plus encourageant, "il recommence à faire de l'humour quand on va le voir". Quand je suis partie de France, se sachant diminuer, il m'avait dit cette phrase terrible, comme en colère contre la mort : "je te reverrai pour mon enterrement". mon grand-père aime tellement être entouré de ses enfants, ses petits-enfants que même si la maladie le mine, l'amour de ses proches suffit à lui donner envie de rester encore parmi nous. pas plus qu'il ne se résout à nous quitter, nous ne voulons le laisser partir.
je suis arrivée au Québec me disant qu'arriverait peut-être le pire quand je serais partie. le téléphone a sonné dimanche mais pour m'annoncer une nouvelle que je n'attendais pas, c'était ma grand-mère maternelle qui nous quittait. avant mon départ, je mettais comme on dit ici un peu chicanée avec elle, puis réconciliée. ma grand-mère était quelqu'un de dur, aimant inégalement ses enfants et ses petits-enfants. j'ai toujours su que nous n'avions pas mon frère Nicolas et moi sa préférence, mon frère aîné davantage. Elle avait cette horripilante habitude quand j'allais la voir de ne me poser aucune question sur ma vie mais de me raconter dans les plus menues détails celles de ma cousine et de mes cousins. Ma grand-mère avait des passions électives pour certains membres de sa famille. à vrai dire, je ne crois pas que cela m'ait fait du mal, irritée oui. et puis j'ai compris qu'avec ma grand-mère, il ne pouvait pas y avoir de compromis, de changement. ce n'était pas une mauvaise personne mais quelqu'un avec un très mauvais caractère, ne sachant pas accomoder les gens, ne sachant profiter des gens, de la vie. peut-être est-ce son enfance difficile qui l'avait conduite à devenir aussi dure. elle était la première enfant d'une "fille-mère" à une époque où cela sonnait comme une insulte. sa mère s'était remariée avec un homme alcoolique et ma grand-mère avait dû s'occuper des frères nés de cette union. la grand-mère de ma mère était une femme travailleuse, lavandière. maman me l'a toujours décrite comme quelqu'un de jovial, drôle mais ayant pour grand défaut "d'aimer les hommes". ma maman généreusement a toujours vu dans ce comportement la compensation que sa grand-mère s'offrait pour sa vie maritale ratée et pauvre. prendre le plaisir où il est. ma grand-mère, elle, ne pouvait pas évoquer sa mère sans dédain et amertume.
au fond, ma grand-mère a toujours été fascinée par les gens ayant une vie, une attitude la plus sérieuse, commune, stable à ses yeux et sa passion se centrait sur ces gens-là. cela peut peut-être s'expliquer.
quand je pense à ma grand-mère je vois tous ces défauts, (son bigotisme en est un autre qui me laissait interdite). je ne vais pas maintenant la voir autrement, la glorifier. mais j'ai aussi plaisir à retrouver des moments plaisants comme quand enfant à elle a su bien s'occuper de moi pendant une semaine quand mes parents m'avaient confié à elle. elle m'avait acheté comme gourmandise des "nuts", et m'avait dit sur le ton du secret, "je les cache car sinon Nicole (ma tante qui vivait avec elle) va les manger". j'avais trouvé cette remarque tellement incongrue car ma tante Nicole avait quand même près de 40 ans. je me souviens qu'aussi mal elle me le montrait, elle était contente de me voir. je me souviens également avoir vu coulé d'émotions au mariage de mon frère Ronan, deux grosses larmes sur visage massif et dur.
Aujourd'hui, toute ma famille était réunie comme cela n'était pas arrivé depuis longtemps et je n'étais pas là. je ne m'en veux pas d'être loin, j'ai fait un choix. mais c'est difficile de ne pas être avec ma famille dans ce moment-là.
Ce post est sans doute impudique mais il me fait du bien.
Les examens se déroulent en ce moment mais je n'ai pas la tête à ça. Je les passerais peut-être ou peut-être pas. Cela n'a pas d'importance. Je suis orthophoniste que le Québec le veuille ou non. Alors ce n'est pas si grave que ça.
Avant que ma grand-mère ne meure j'avais comme un peu de spleen, je ne peux pas dire que ça aille mieux mais cela me donne le goût de profiter davantage des gens et des choses que j'aime.
Cela fait un bout (prononcé le t à la québécoise) que je ne vais plus à la messe et que je n'ai pas prié et que je pense ne pas croire en dieu mais je me demande qui je dois remercier pour la chance d'avoir eu jusqu'ici auprès de moi deux grand-mères et un grand-père.
Raph